Des hommes et des dieux en politique. Les lieux de l’interaction entre les hommes et les puissances divines dans la vie politique des cités grecques

Le monde des cités grecques ne saurait se comprendre sans tenir compte de la relation étroite et permanente qui unissait les hommes et les dieux, à différents niveaux et dans tous les domaines d’activités, aussi bien publiques que domestiques. Alors que de nombreuses études ont insisté sur la dimension politique de la religion et que d’autres ont mis en lumière la place du religieux dans la construction du politique, cette « conscience de soi » aux fondements de toute communauté civique (Vernant 1998 ; Schmitt & de Polignac 2007), le fonctionnement de la vie politique est encore bien souvent analysé indépendamment des pratiques religieuses d’une communauté. Le fonctionnement de la cité reposait sur des mécanismes de prise de décision publics et un exercice du pouvoir souvent collectif, soumis à un cadre institutionnel varié, dans lesquels les divinités jouaient un rôle important, mais rarement étudié. Quelques réflexions sur le dialogue instauré entre les communautés et les puissances divinités émaillent les travaux épigraphiques, au gré des découvertes d’inscriptions qui mentionnent des vœux, des prières collectives ou encore des actions de grâce d’individus investis de charges publiques (e.g. Hamon 2005). Le sujet est aussi parfois traité par les historiens du fait religieux, la plupart du temps au détour d’une étude dédiée à une divinité impliquée dans la vie politique d’une communauté (e.g. Zografou 2005 ; Pironti 2009), ou plus rarement par les archéologues qui analysent les usages des lieux de réunion (e.g. McDonald 1943 ; Steskal 2010). Cette journée d’étude est conçue comme une invitation à confronter les observations faites à partir d’ensembles documentaires dispersés afin de nourrir une réflexion plus générale sur les interactions entre humain et divin dans le cadre de la vie politique des cités grecques de l’époque archaïque à l’époque romaine. Elle s’intègre dans les objectifs du projet ERC MAP (ERC Advanced Grant 741182, Mapping Ancient Polytheisms. Cult Epithets as an Interface between Religious Systems and Human Agency), qui considère les dénominations divines comme des éléments essentiels de la construction des réseaux relationnels tissés  entre hommes et dieux au sein du monde méditerranéen. Les travaux de l’équipe ont montré que les noms divins peuvent être analysés comme les traces de stratégies adoptées par les agents du culte en lien avec leurs fonctions et celles que l’on impute aux dieux (Galoppin & Lebreton, à paraître). Dans la continuité de ces observations, l’accent sera mis sur la manière dont les différents acteurs de la vie politique s’accommodaient et s’emparaient du cadre institutionnel dans lequel s’inscrit le dialogue avec les divinités pour servir la communauté civique ou d’autres intérêts. La vie politique sera aussi analysée en tant que scène sur laquelle se déployait, voire s’affrontait une série d’acteurs qui ont comme caractéristique d’être en compétition pour orienter la gestion des affaires communes ou exercer le pouvoir. Les réflexions prendront en compte la diversité des conduites et comportements des individus ou groupes dans ce contexte, ainsi que la variété des actions des instances civiques selon les diverses échelles de la vie sociale. Enfin, puisque ces acteurs agissent dans des lieux particuliers, une attention toute particulière sera portée au cadre spatial de leurs interactions avec les puissances divines. En effet, si les lieux qui composent une cité grecque sont façonnés pour répondre à des besoins, leur forme et leur aménagement pouvaient être chargés de représentations ; l’historien doit s’attacher à les révéler pour mieux comprendre la manière dont ces lieux participaient aux stratégies des acteurs et renforçaient le sens des actions entreprises par chacun (Bernini 2021). Sans prétendre épuiser cette vaste thématique, les communications pourront éclairer différentes facettes de la relation des communautés civiques et de leurs divinités dans le contexte de la vie politique. Les interrogations pourront s’articuler autour de deux axes :

1. La place des divinités dans la fabrique des décisions politiques et dans l’exercice du pouvoir collectif
Dans ce cadre, les réflexions porteront par exemple sur les modalités de la coopération entre les hommes et les divinités. Quelle était la place des consultations oraculaires dans la prise de décision ? Quels types d’informations allait-on chercher auprès des divinités ? Quelles divinités invoquait-on lors des rites propres aux réunions de l’Assemblée du Peuple ? À quels moments de la réunion ces rites étaient-ils accomplis et pour quelle raison ? Les lieux de cette coopération retiendront l’attention, qu’il s’agisse des lieux de réunion, des locaux de magistrats, ou encore de places publiques (présence d’autels, de statues de culte, d’images de divinités,  attestations d’agents cultuels attaché à ces lieux etc.). Les communications pourront aussi s’intéresser à la manière dont les individus investis d’une charge civique s’adressaient aux divinités, seuls ou au sein d’un collège de  magistrats. Que demandaient-ils aux dieux ? Agissaient-ils au nom de la cité ou en leur nom propre ? À quel moment de leur charge s’adressaient-ils aux dieux ? Quels étaient les lieux choisis pour établir ce dialogue et pour en conserver le souvenir ?

2. La place des divinités dans la compétition entre les acteurs de la vie politique
Les participants sont invités à s’interroger sur le rôle dévolu aux lieux de culte dans la vie politique. Dans quel contexte et par quelles instances les sanctuaires pouvaient-ils être utilisés comme lieux de réunion politique ? La réflexion sera attentive aux différentes échelles de la vie politique (subdvisions, instances civiques centrales, koina, associations etc.). De quelle manière les rapports de force constitutifs de la vie politique étaient-ils mis en scène dans ces lieux ? On pourra par exemple s’interroger sur le choix de certains sanctuaires comme epiphanestatoi topoi des décisions de la cité et de certains des groupes qui la composaient. Les contributions pourront  également porter sur les stratégies à l’œuvre dans le choix des lieux de l’association de grands acteurs de la vie politique (rois, bienfaiteurs, empereurs) à certaines divinités, au cours de l’époque hellénistique et pendant la domination romaine. Parmi ces lieux, les agoras et les gymnases pourront faire l’objet d’une attention particulière. On pourra aussi se demander à quelles divinités ou groupes de divinités les agents politiques, civiques ou  non, souhaitaient être associés. Quels étaient les rites privilégiés dans ce contexte ? Pour quelles raisons ? Puisque dans ces deux axes de réflexion, l’identité des divinités sollicitées, l’analyse des associations originales créées pour certaines occasions et les éventuelles mutations au gré de l’histoire des communautés constitueront des enjeux majeurs, les intervenants sont incités à utiliser la base de données du projet MAP, outil propice à ce type d’étude : https://base-mappolytheisms.huma-num.fr/

Les propositions (titre et résumé) devront être envoyées avant le 20 janvier 2023 pour être examinées et sélectionnées avant la fin du mois. La journée donnera lieu à une publication sous forme d’un dossier soumis à la Revue des études anciennes.
Organisation et contact : Julie Bernini (julie.bernini@univ-tlse2.fr)

Bibliographie
J. Bernini, « Les prytanées hellénistiques et le politique. Les cas de Priène et de Magnésie du Méandre », RevArch, 72, 2021, 293-326.
P. Hamon, « Un prêtre des dieux boulaioi dans le bâtiment du conseil de Cos », Chiron, 36, 2005, 151- 169.
T. Galoppin et S. Lebreton (éd.), Divine Names on the Spot III. Divine Names and Agency in Ancient Greek and West Semitic Texts, à paraître.
W. A. McDonald, The Political Meeting Places of the Greeks, 1943.
G. Pironti, « Des femmes, des magistrats, une déesse : réflexions sur les contextes de l’offrande », dans C. Prêtre (dir.), Le donateur, l’offrande et la déesse, 2009, 39-50.
P. Schmitt Pantel et F. de Polignac (éd.), Athènes et le politique. Dans le sillage de Claude Mossé, 2007.
M. Steskal, Das Prytaneion in Ephesos, 2010.
J.-P. Vernant, « Les cités grecques et la naissance du politique », dans S. Bernstein et P. Milza, (éd.) Axes et méthodes de l’Histoire politique, 7-12 (= Schmitt Pantel & de Polignac, éd. 2007, 17-23).
A. Zografou, « Les Phôsphoroi et la Tholos d’Athènes », dans N. Belayche et al., Nommer les dieux : théonymes, épithètes, épiclèses dans l’Antiquité, 2005, 531-542.