Micro-portrait onomastique : Resheph ḥṣ

Resheph est une divinité bien connue au Proche-Orient du milieu du IIIe millénaire jusqu’à la fin du Ier siècle av. n. è. On le rencontre dans les textes ougaritiques, phéniciens, araméens et égyptiens, ainsi qu’au moins sept fois dans la Bible hébraïque. Dans ces textes, Resheph est décrit de différentes manières, associé aux portes des enfers, à la guerre, ainsi qu’à la peste et à la guérison. Bien évidemment, ce qui nous intéresse particulièrement aujourd’hui, en ces temps de confinement, c’est ce dernier aspect du dieu, qui s’exprime notamment dans l’expression « Resheph de la flèche » (ršp ḥṣ), attesté dans une inscription chypriote de Kition de la moitié du IVe siècle av. n. è. Une autre inscription chypriote, cette fois de Paleo-Kastro dans la région de Pyla, mentionne, si la restitution est correcte, Resheph Shed, dont le nom accompagne la tête monumentale d’une sorte de Bès. L’association de Resheph et Shed, ce dernier étant un dieu protecteur et guérisseur, pourrait témoigner du pouvoir guérisseur de Resheph. Il est, en effet, plutôt commun – et logique – que la même-divinité à l’origine de la maladie est aussi la même qui a le pouvoir de l’arrêter.

Au-delà de l’association avec Shed, à cette période, à Chypre, les figures de Resheph et Apollon, le dieu archer par excellence, sont fréquemment juxtaposés, comme le montre la documentation bilingue en phénicien et en syllabaire chypro-grec du sanctuaire d’Apollon de Phrangissa, à Tamassos. Cependant, le lien de Resheph avec les flèches est attesté à de périodes plus anciennes dans des témoignages iconographiques et littéraires. En particulier, à Ougarit, au plus tard au XIIIe siècle, dans le texte épique de Keret, Resheph est déjà appelé « le seigneur de la flèche ». Quant à son imagerie, les attestations les plus sûres de Resheph dans l’iconographie proche-orientale montrent, de manière générale, sur des stèles, des sceaux ou encore sur des figurines en métal, Resheph comme une divinité agissante, voire menaçante, brandissant une arme. Cette dernière peut être une grande hache, une massue ou une masse, mais parfois aussi une épée, une lance ou des couteaux. En outre, il porte parfois un bouclier, reflétant son rôle de protecteur.

En ce qui concerne plus précisément le Resheph archer, nous pouvons évoquer trois catégories d’objets. Tout d’abord des stèles d’Ougarit, qui représentent une divinité armée de bouclier et d’arc, bien que son identification reste incertaine en l’absence d’une inscription.

La deuxième catégorie regroupe quelques sceaux cylindriques du Bronze Moyen (2200-1550) de provenance syrienne, aujourd’hui conservés au Louvre (AO 4795 et AO 6268, ci dessus), sur lesquels une divinité armée d’un arc est parfois identifiée par son nom : Nergal. Or Nergal est, sur le plan morphologique, la divinité mésopotamienne correspondant à Resheph au Levant, les deux étant d’ailleurs identifiés dès les textes d’Ougarit. L’iconographie de Nergal et de Resheph était donc probablement interchangeable.

La troisième catégorie, la plus importante, concerne en particulier une figurine en bronze d’époque saïte (665-525), aujourd’hui conservée au Louvre (AF 587, ci-dessus, à gauche), représentant, comme l’inscription le confirme, Resheph à la façon égyptienne, armé d’un arc, de flèches et d’un carquois.

Un dernier aspect mérite notre attention : le lien, comme pour Apollon, entre Resheph, la maladie, les flèches et le feu. Dans les trois cas, il s’agit, évidemment, de décrire un pouvoir incontrôlable et insaisissable, qui frappe de loin sans se faire apercevoir et qui répand une épidémie dont on voit les symptômes et dont on pleure les victimes, sans jamais pouvoir mettre la main sur l’origine du mal. C’est notamment en écho à ce triple spectre sémantique que le terme Resheph est utilisé dans la Bible Hébraïque. Il n’est plus, cela va de soi, une divinité autonome, mais il devient une arme ou une punition utilisée par YHWH contre son peuple ou, plus souvent, contre ses ennemis. Cependant, la puissance féroce et destructrice de Resheph mérite, même dans la Bible Hébraïque, une place d’honneur dans le célèbre verset du poème érotique qu’est le Cantique des cantiques, quand la jeune femme dit à son amoureux : « Place-moi comme une marque gravée sur ton cœur, une marque gravée sur ton bras. Car l’amour est aussi fort que la mort ; la passion aussi impitoyable que le monde des morts. Elle est une fièvre brûlante, elle frappe comme la foudre (reshafeha rishpei esh). » (8,6).

Nous préférons donc, finalement, imaginer Resheph, comme Eros ou Cupidon, porteur d’une bien meilleure maladie que le Covid-19, la « maladie d’amour ».

Fabio Porzia

 

Image: Resheph (ca 1184–664), Metropolitan Museum of Art (89.2.215), de Wikimedia Commons.